Formidable machine à représenter l’humain et interroger ses conditions et modalités d’existence, le cinéma s’est toujours intéressé à la science médicale et à ses possibilités de guérison, d’amélioration, de modification ou d’extension du corps humain. Le cinéma a fait de la figuration de l’homo orthopedicus l’un de ses enjeux et motifs majeurs. À ce titre, la question de la greffe constitue un sujet de prédilection. Un rapide coup d’œil sur le cinéma d’auteur contemporain montre l’intérêt et la diversité des approches des réalisateurs et scénaristes pour le sujet. D’une manière ou d’une autre, Sympathy for Mister Vengeance de Park Chan-Wook (2002), Blood Work de Clint Eastwood (2002), 21 grammes d’Alejandro Gonzalez Inarritu (2003), Un conte de Noël d’Arnaud Desplechin (2008) ou encore La Piel que Habito de Pedro Almodovar (2011), parmi probablement des dizaines d’autres, font des questions de greffe et de transplantation de puissants ressorts dramatiques. Cœurs, reins, moelle osseuse ou peau synthétique constituent les organes mêmes de la narration. De leur disponibilité ou de leur compatibilité dépend le sort des personnages. Le traité d’anatomie structure le développement (mélo)dramatique autour d’une question aussi platonicienne qu’essentielle : le lien entre identité biologique et identité philosophique. L’âme et le corps, encore. (...)
"Avoir la peau de l'autre. Chroniques de la greffe au cinéma" in Barbara Denis-Morel (sous la dir.), Corps recomposés. Greffe et art contemporain, Aix-en-Provence, Presses Universitaires de Provence, 2015,p. 89-101.