Doubles, reflets, sosies, imitations… Twin Peaks se structure entièrement autour de figures de répétition, comme le promet le titre même de la série, homonyme du nom du lieu de l’action, petite ville de l’Amérique profonde nichée au cours des montagnes et prenant pour icône les monts jumeaux qui l’entourent. Le célèbre panneau au bord de la route lance un joyeux « Welcome to Twin Peaks », avec l’illustration des deux pics surplombant l’inscription du nombre d’habitants (population : 51 201) immédiatement mis à mal par la découverte d’un cadavre. Les spectateurs les plus attentifs et les plus fidèles ne manqueront pas, par ailleurs, de remarquer que ce soap noir s’ouvre sur une scène de miroir (Josie Packard, la belle héritière de la scierie, s’observe et se maquille d’un rouge à lèvres flamboyant, juste avant que l’on ne découvre un corps glacé au bord de l’eau, au teint cadavérique bleuté) et se termine, trente épisodes plus tard, sur une autre scène de miroir non moins insolite et macabre (Dale Cooper, de retour de la Loge Noire, s’enferme dans sa salle de bains pour se brosser les dents et découvre le reflet du terrifiant Bob en lieu et place du sien dans le miroir). Auparavant, il aura dû affronter nombre de doubles (ceux des personnages de la série, mais aussi les siens) lors de la traversée labyrinthique des Loges. Si les scènes de miroir invitent naturellement le spectateur à l’introspection, à regarder en lui-même pour se confronter aux nombreux réseaux de signification de cette œuvre plurielle, ces jeux de répétition du même, ou du presque même, de l’identique défaillant (le complexe Laura / Maddy évidemment, mais plus largement tout l’argument autour des manifestations de Bob – la figure de la possession se lit toujours comme celle de la destitution de l’un au profit de sa substitution par le double) ou encore de la symétrie inversée (qui semble parfois vouloir toucher chaque personnage ou chaque plan, et qui se trouve encore convoquée de manière réflexive avec la présence du feuilleton Invitation to Love sur les écrans de télévision des habitants de Twin Peaks) confèrent avant tout à la série son identité visuelle et thématique si caractéristique. Elles participent aussi à un singulier dispositif narratif et dramatique (le réel et le rêve se redoublent sans cesse au point de se confondre). (...)
"La mort de Laura Palmer n'a pas eu lieu. Notes sur le dédale sonore de Twin Peaks" in Mondes du cinéma, n°7, Lettmotif, 2015, p. 20-31.